Dans notre édition du mois de juin, le directeur général de la Fédération régionale acadienne des pêcheurs professionnels (FRAPP), Jean Lanteigne, nous faisait part de la situation critique dans laquelle se trouvaient les crevettiers. La situation n’est pas plus rose en ce moment, loin de là.

Le vendredi 7 juillet dernier, dans l’Acadie Nouvelle, M. Lanteigne s’est confié au journaliste Cédric Thévenin. Il a martelé à plusieurs reprises que les crevettiers veulent être en première ligne pour capturer le sébaste, un féroce prédateur du crustacé. On a recueilli aussi les commentaires de Marie-Julie Roux, une chercheuse au MPO. Voici l’essentiel de leurs propos.

Le DG de la FRAPP réclame haut et fort une réouverture de la pêche au sébaste. À son avis, cette activité permettrait aux pêcheurs de crevettes de survivre en cette période de grande incertitude.

Les crevettiers néo-brunswickois sont littéralement « dans l’eau chaude », c’est le cas de le dire. Il faut préciser que la crevette nordique vit habituellement au-delà de 120 m de profondeur. Or, cet habitat atteint des records de température depuis 1915 dans le golfe du Saint-Laurent. Il a dépassé 7°C pour la première fois en 2022, selon Marie-Julie Roux. Les crevettes nordiques font aussi face à l’augmentation phénoménale de la biomasse du sébaste. « Depuis quelques années, elles se font manger en grande quantité par ce poisson qui contribue de façon importante à leur déclin », avance-t-elle.

La précaution est sur le radar 

Dans ce contexte, est-ce la fin de la pêche à la crevette nordique?
M. Lanteigne n’est pas prêt à aller jusque là. « Il faut être prudent », dit-il. Pour l’instant, l’équipe scientifique du MPO veut réviser l’approche de précaution pour une pêche durable de cette espèce. « Les conditions écosystémiques actuelles ne sont pas les mêmes que lors du développement de l’approche de précaution au début des années 2010 », renchérit Mme Roux. « Cette situation a pour conséquence d’augmenter le risque pour la durabilité des stocks. »

Le MPO identifie trois zones dans son approche de précaution: la zone saine, la zone de prudence et la zone critique. Les stocks de crevettes nordiques sont en zone saine dans l’Estuaire, à Anticosti et à Esquiman tandis qu’ils sont dans la zone de prudence à Sept-Îles. « Est-ce que nous allons tomber dans la zone critique? C’est possible, mais il ne faut pas sauter aux conclusions », indique M. Lanteigne.

Il mentionne notamment que les scientifiques du MPO réévalueront les stocks de crevettes nordiques avant de soumettre des recommandations aux gestionnaires de leurs ministères. Ces derniers rencontreront ensuite les membres d’un comité consultatif, réunissant les représentants de l’industrie et de Premières Nations en 2024, qui enverra des recommandations à la nouvelle ministre, Diane Lebouthillier.

Aide gouvernementale réclamée

« Il est vrai que la performance de la pêche est préoccupante, admet Jean Lanteigne. Là où un pêcheur capturait 100 000 livres, il rentre avec 30 000 livres. Ça pose un paquet de questions. » Il se demande notamment si les crevettes vivent à des profondeurs moins basses, alors que les pêcheurs continuent de travailler avec des chaluts de fond. Les pêcheurs néo-brunswickois de crevettes dépensent aussi davantage, notamment à cause de l’augmentation du prix du carburant. Ils doivent en effet naviguer sur de longues distances avant de faire leurs prises.

La FRAPP discute donc avec le gouvernement provincial pour avoir de l’aide. « Comment le Nouveau-Brunswick peut-il maintenir sa flottille de chalutiers? Nous avons des ports historiques et 200 emplois directs et indirects à préserver, fait valoir le DG. Est-ce que
des rabais sur le carburant seraient possibles? »

Pêche au sébaste 

Il veut aussi faire équipe avec Fredericton pour faire pression sur Ottawa afin que le MPO rouvre le plus vite possible la pêche au sébaste, un poisson d’eau profonde. « Il est temps qu’on exploite ça, insiste le représentant de la FRAPP. Il faudrait être naïf pour dire que ça permettrait au stock de crevettes de grossir rapidement. Cependant, ça limiterait les dégâts et ça apporterait à la flottille une possibilité de survie économique. »

La pêche au sébaste fait l’objet d’un moratoire depuis 1995 dans le golfe du Saint-Laurent. Toutefois, trois cohortes nombreuses de ce poisson sont apparues à cet endroit en 2011, 2012 et 2013. Elles entraînent une augmentation importante de la biomasse de cette espèce depuis 2016.